• Hollande, social-réaliste

    Voici un texte que j'ai écrit lors de la campagne de 2012. Je n'y changerais pas grand-chose aujourd'hui !


    François Hollande joue une partie difficile. D'un côté, il veut incarner l'espoir traditionnel des électeurs de gauche et des classes populaires : plus d'égalité, plus de libertés, plus de fraternité. D'un autre côté, il veut ne pas effrayer les électeurs de droite qui veulent plus de sécurité, plus de privilèges, plus d'argent. Le risque est évidemment de décevoir tout le monde. Certains se rangent alors derrière des candidats plus radicaux dont ils espèrent ne pas être déçus, Jean-Luc Mélenchon et Eva Joly pour la gauche, Marine Le Pen pour la droite. Ceux-là se fichent de se concilier les voix de l'autre camp, ils prétendent appliquer intégralement et sans concession le programme dont ils savent qu'il séduit leurs électeurs. Alors, intégrisme ou compromis ?

    1- Le souhaitable
    Liberté, égalité, fraternité, c'est non seulement la devise de la République, c'est aussi ce qui paraît le plus souhaitable au plus grand nombre de Français. Evidemment, il y a des désaccords dès qu'il s'agit de définir un contenu précis, de prendre position sur un point particulier, mais, dans l'ensemble, presque tout le monde est d'accord, à part à l'extrême droite et dans certains milieux très religieux. Lorsqu'il y a divergence d'opinions, c'est la règle de la démocratie, on se rallie à l'intérêt général. Les banques sont bien gentilles, vive la liberté d'entreprendre et de gagner de l'argent, mais non aux abus et à la spéculation ! Elles doivent se soumettre à l'intérêt général ! Les grèvistes ont le droit de revendiquer des améliorations de salaires, mais non aux abus et à la prise d'otages des usagers ! Ils doivent se soumettre à l'intérêt général ! Les laboratoires pharmaceutiques et autres fabricants de prothèses ont le droit de fabriquer ce qu'ils veulent comme ils le veulent, mais non aux abus et à la mise en danger de la vie d 'autrui ! Ils doivent se soumettre à l'intérêt général ! Les patrons ont le droit de vouloir augmenter les profits de leurs actionnaires, mais non aux abus et aux licenciements non justifiés ! Ils doivent se soumettre à l'intérêt général !

    On rêve ainsi d'une société où chacun serait maintenu dans le droit chemin de l'intérêt général. Il faudrait un gouvernement soucieux de ce seul intérêt général et garant de son respect absolu. Un gouvernement honnête, égalitaire, à la fois libertaire et autoritaire ! Il devrait évidemment, ce gouvernement, mater ceux qui s'opposeraient à l'intérêt général, avoir les moyens et la volonté de les remettre dans le droit chemin.

    2- La réalité
    Plusieurs fois dans l'histoire, les peuples, en France et ailleurs, ont porté au pouvoir de tels gouvernements, des gouvernements composés d'hommes (rarement de femmes ...) idéalistes, honnêtes, convaincus, sans compromission. En 1789, les sans-culottes ont porté au pouvoir un gouvernement qui voulait sincèrement améliorer le sort du peuple et a, en effet, aboli les privilèges du clergé et de la noblesse, établi la liberté de culte et la liberté d'expression, établi plus d'égalité devant l'impôt, etc. Mais, quelques années plus tard, contraint de lutter contre les oppositions, un autre gouvernement s'est substitué au premier, celui de la Terreur, puis celui de Napoléon Bonaparte. La Révoluton libertaire a accouché d'un régime autoritaire ! En Russie, les révolutionnaires ont chassé le Tsar, sa police oppressive, ses nobles parasites et méprisants, etc. Puis, les tsars rouges, Lénine, Staline et leurs successeurs, prisonnieres d'une caste de bureaucrates profitant du système, ont instauré un nouveau régime autoritaire et exploitant les masses. L'histoire est connue. Les révolutions apportent de grands progrès immédiats, qui souvent perdurent et sont un acquis définitif, et ensuite, en butte aux réactions violentes des classes privilégiées, doivent constituer des régimes militaristes, autoritaires et inégalitaires. Le contraire de ce pour quoi les peuples les avaient faites, ces révolutions !

    3- Le possible
    On se souvient du slogan de Mai 68 : "Soyez réalistes, demandez l'impossible !". Il contient une part de vérité, c'est que l'excès de prudence conduit souvent à réduire tellement ses exigences, que celles-ci se vident de tout contenu et se résument à des rêves vagues, sans réalité. Il faut oser. Mais l'impossible, c'est aussi de réduire à rien l'opposition. On aura beau toujours scrupuleusement mettre en avant l'intérêt général, on ne fera pas taire les intérêts particuliers pour autant, ni ceux qui ont une autre conception de l'intérêt général. Il faut donc penser le possible. Je crois que c'est la méthode de François Hollande. Regardez ce qu'il a répondu à propos du nucléaire. D'un côté, les écologistes voulaient imposer l'adoption du voeu de "sortir du nucléaire", c'est-à-dire de se passer complètement de l'énergie nucléaire. De l'autre, les industriels et les ouvriers du nucléaire voulaient évidemment que l'on maintienne la forte production d'énergie nucléaire. Le compromis bête aurait été de dire : "on va couper la poire en deux" : réduire un peu le nucléaire, mais en faire encore beaucoup ! C'était l'assurance de décevoir tout le monde ! Hollande a eu, il me semble une autre démarche : 1/ reconnaître que le souhaitable était de ne plus s'exposer au risque des accidents nucléaires ; 2/ évaluer ce qu'il est possible, raisonnablement, de faire en cinq ans (durée de la législature et du mandat présidentiel : inutile de rêver au-delà) ; à partir de là, le chemin se trace de lui-même : on réduit autant qu'il est possible, sachant que conserver le nucléaire en le sécurisant coûtera très cher et que le réduire en fermant des centrales coûtera également très cher ! Inutile de chercher des divergences artificielles sur l'impossible, rejoignons-nous sur le possible !

    La France, après la révolte populaire de la Commune, a construit un régime parlementaire que tout le monde critique et renierait aujourd'hui, la Troisième République. Régime de partis, de compromis, voire de compromissions et de scandales, mais régime où les politiciens honnêtes cherchaient toujours la voie du possible. Elle a quand même duré presque 70 ans, survécu à la Première Guere mondiale, à plusieurs scandales politiques, à des émeutes fascistes, et nous a donné les lois sur la liberté de la presse, sur l'éducation obligatoire, sur l'école publique laïque et gratuite, sur la séparation des églises et de l' Etat, sur la durée du travail, sur les congés payés, etc., qui constituent le socle de la République à laquelle la majorité des Français, gauche et droite confondues, sont attachés. Alors, la voie du possible, évidemment, ça fait moins rêver que les grandes déclarations tonitruantes, mais je trouve que ce n'est pas si mal que ça !

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