•  

    Jean-Eric Hyafil, enseignant-chercheur au Centre d'économie de la Sorbonne, membre du Mouvement français pour le revenu de base (MFRB), propose quelques exemples pour dissiper les fantasmes et clarifier les idées (Le Monde du 8 février 2017).

     

    Le revenu universel suscite bien des fantasmes : « C'est la fin de l'emploi »; «Cela crée une société d'assistés »; «Ça coûterait trop cher »›; « C'est une usine à gaz », entend-on de tous côtés. Pour cesser de se bercer d'illusions, prenons des exemples concrets :: voici les conséquences qu'aurait l'instauration d'un revenu universel pour un couple de classe moyenne, pour le conjoint sans revenu d'un cadre, pour un travailleur pauvre aux revenus aléatoires, pour une personne seule aux revenus élevés.

     

    Imaginons une réforme fiscale introduisant un revenu universel (RU), au montant intermédiaire de 548 euros qui ne remplacerait que le RSA (revenu de solidarité active) et la prime d'activité (les aides au logement étant maintenues). Dans ce modèle de base, le financement repose intégralement sur une réforme de l'impôt sur le revenu (IR): celui-ci est prélevé au taux de 34 % dès le premier euro gagné au-delà du RU, le taux marginal atteignant 48 % sur la dernière tranche. Bien sûr, il serait aussi possible de diversifier les sources de financement (lutte contre l'évasion et l'optimisation fiscales, impôt sur le patrimoine, etc.). Mais restons-en ici à la seule réforme de l'IR. Un couple sans enfants de la classe moyenne, dans lequel chaque conjoint touche 2000 euros de salaire net par mois, paie aujourd'hui 296 euros par mois d'impôt sur le revenu, ce qui lui laisse un revenu disponible mensuel de 3704euros. Avec la réforme proposée, l'impôt mensuel passera certes à 1408 euros, mais chaque conjoint recevra son RU, portant le revenu disponible du couple à 3688 €. Le RU ne change donc presque rien. Si : il permet à l'un des conjoints de choisir de réduire son temps de travail - par exemple pour faire du bénévolat associatif - en subissant une baisse de revenu disponible moins forte que sans RU.

     

    Imaginons maintenant que, dans ce couple, les 4000 euros sont gagnés par un seul conjoint (disons la femme), tandis que l'autre (le mari) n'a aucun revenu. Madame paie donc actuellement les 296 euros d'impôt mensuel, sachant qu'elle en paierait 648 si elle vivait seule : c'est le quotient conjugal qui lui permet de bénéficier d'une réduction de 353 euros d'impôt, au nom du fait qu'elle doit «entretenir » Monsieur, qui, lui, ne peut prétendre au RSA. Avec la réforme, Madame ne pourra certes plus profiter du quotient conjugal, tandis que Monsieur percevra comme madame ses 550 euros de revenu universel, ce qui rééquilibrera les relations au sein du couple. Il deviendrait plus simple pour Monsieur de quitter Madame, si celle-ci devenait violente par exemple...

     

    Prenons maintenant un individu dont les revenus du travail sont faibles et variables d'un mois sur l'autre. S'il gagne 800 euros net dans le mois, il ne paie aujourd'hui pas d'impôt et perçoit avec trois mois de décalage une prime d'activité de 212 euros, à condition évidemment de la demander : en 2011, 68% des travailleurs pauvres ayant droit au RSA activité - prédécesseur de la prime d'activité - ne le demandaient pas. Avec l'introduction du RU, il lui sera prélevé 281 euros d'impôt sur le revenu à la source sur son salaire, ne laissant que 519 euros de revenu net, auxquels s'ajoute le RU, ce qui revient à un revenu disponible de 1067 euros pour ce mois, au lieu de 1012 euros aujourd'hui. Mais surtout, il saura que le mois suivant, quels que soient ses revenus d'activité, il percevra automatiquement ses 548 euros de RU, alors qu'il lui est impossible aujourd'hui d'anticiper le montant de sa prime d'activité. Avec le RU, c'est l'impôt prélevé à la source qui s'ajuste instantanément aux variations de revenu, et non le montant de la prime d'activité avec trois mois de retard.

     

    Certains craignent que le revenu universel revienne à abandonner les titulaires du RSA et les personnes sans emploi à leur situation d'exclusion. Bien au contraire. On pourrait redéployer de nombreux fonctionnaires des caisses d'allocations familiales et des conseils départementaux qui se consacrent aux tâches administratives associées au RSA vers des missions d'accompagnement des personnes en difficulté d'insertion. Surtout, l'incitation monétaire à travailler serait accrue, puisque chacun saura qu'il conservera l'intégralité de son RU s'il retrouve un emploi, alors que la perte des allocations actuelles est parfois un motif de renoncement à l'emploi. ` Chômeurs et retraités continueront à recevoir leur revenu de remplacement et percevront le RU, mais ils paieront plus d'impôt suivant le même mécanisme que pour les revenus du travail. En outre, les mécanismes de la politique familiale (allocations familiales, complément familial, allocation de rentrée scolaire, quotient familial) seraient réunis en un seul RU forfaitaire de 200 euros à 250 euros par enfant. Les personnes en situation de handicap et les mères isolées continueraient à recevoir l'aide supplémentaire actuelle, attachée à leur situation particulière.

     

    Quant à la personne qui gagne, disons, au hasard, 1 million d'euros par mois, elle toucherait certes le RU mais paierait 479466 euros d'impôt mensuel au lieu de 448364 euros aujourd'hui. Compte tenu du RU, son revenu disponible mensuel passerait de 551636 euros à 521082 euros.

     

    Certains se demandent pourquoi verser à tous un RU, pour finalement augmenter l'impôt de tous. Il y a d'abord une dimension symbolique importante: quand un revenu est versé à tous plutôt que d'être réservé aux pauvres, il n'est plus stigmatisant. Mais surtout, le mécanisme revenu universel + impôt universel est plus simple et plus clair, et supprime les effets de seuil. Avec un nouvel impôt individualisé, le prélèvement à la source aussi est simplifié. Il faut donc sortir des fantasmes: le RU est finançable, ce n'est pas une usine à gaz et il ne créera pas une société d'assistés. Mais peut-être faut-il aussi cesser les grands discours qui le décrédibilisent. Le RU ne signe pas «la fin de l'emploi », ne garantira pas l'autonomie de tous, ne résoudra pas tous nos problèmes économiques et sociaux: c'est simplement une réforme socio-fiscale qui permet de rendre la redistribution plus claire et plus efficace.

     

    Partager via Gmail Delicious Technorati Yahoo! Google Bookmarks Blogmarks

    votre commentaire
  •  

    Dans le film de Rossellini « Les évadés de la nuit » (1960), trois prisonniers Alliés, un Américain, un Soviétique et un Britannique, se retrouvent dans un camp de l'Italie fasciste pendant la Seconde guerre mondiale. Ils s'évadent. Mais à part cela, lors d'une discussion, l'un d'eux fait le constat suivant : « J'ai rencontré beaucoup d'Italiens, des paysans, des ouvriers des villes, les soldats qui gardaient le camp. Aucun d'entre eux n'était fasciste. Les Italiens ne sont pas fascistes. Comment alors se fait-il que le fascisme a duré si longtemps, sans fascistes ? »

     

    Telle est bien la question. Comment se fait-il que les pouvoirs les plus inhumains dominent tant d'humains ? Comment se fait-il qu'un parti raciste et xénophobe soit favori des sondages dans un pays universaliste et catholique ? Aveuglement ? Panurgisme ? Lâcheté ? Irrationalisme ?

     

    Partager via Gmail Delicious Technorati Yahoo! Google Bookmarks Blogmarks

    votre commentaire
  •  

    S'il vous plaît, arrêtez de ressasser vos aigreurs, tournez-vous vers l'avenir ! OK, il faut un « droit d'inventaire », que peut-être Hollande n'a pas assez fait valoir contre le lourd héritage des années Sarkozy-Fillon, mais évaluer le passé pour voir ce qu'on peut en faire à l'avenir est une chose, en faire un procès en est une autre. On n'en est pas à chercher des coupables et encore moins à les punir, on en est à tirer la France vers le haut.

     

    Commençons par ce qui semble fâcher le plus : le 49-3 et la déchéance de nationalité. Lors du vote de la loi-travail, plus de cinq mille amendements avaient été déposés, dont la plupart simplement photocopiés. Il y avait donc bien de la part de certains parlementaires une volonté d'obstruction et de refuser le débat, et le gouvernement en a tiré les conséquences. Faut-il pour autant supprimer le 49-3 ? Evidemment non, car une telle situation peut toujours se reproduire, qui aboutit au blocage d'un texte par une minorité.

     

    La déchéance de nationalité. Contrairement à ce qui a été présenté, ce n'était pas, à mon sens, une mesure purement symbolique, même si elle avait bien aussi cette dimension. Rappelons-nous que la loi oblige le gouvernement à prêter main forte et assistance à tout citoyen français en danger à l'étranger. Imaginons un terroriste français arrêté dans un pays où la torture, ou au moins les jugements expéditifs, ou la peine de mort, sont courants, le gouvernement devrait le défendre. La déchéance aurait permis de priver un terroriste condamné de la protection liée à la nationalité française.

     

    D'autres sujets sont, je trouve, plus importants, et on en parle moins !

     

    Les créations de postes dans l'Education nationale. La question est maintenant de savoir comment on va améliorer le « rendement pédagogique » de l'école. Comment de nouvelles pédagogies pourront être développées et favorisées ? Voila les vraies questions.

     

    L'alignement du traitement des instituteurs sur celui des professeurs. Peut-être faudrait-il aussi envisager de revaloriser le travail d'autres catégories de salariés mal reconnus ?

     

    L'augmentation du nombre de policiers et de magistrats. Là aussi, il reste le problème principal, qui est la lenteur des procédures judiciaires et, ce qui en est partiellement la conséquence, la surpopulation carcérale liée principalement au trop grand nombre de détentions préventives (28%, plus du quart !). Comment éviter toutes ces détentions préventives ?

     

    Les emplois d'avenir, la garantie jeunes, le soutien à l'apprentissage, mesures insuffisantes, bien sûr, mais dont la portée est surtout limitée par une certaine frilosité des entreprises à l'égard des jeunes issus des milieux populaires.

     

    Le compte personnel de formation, le compte pénibilité, instaurés en grande partie par la fameuse « loi-travail » tant honnie, inverse de manière fondamentale le droit en l'attachant à la personne et non à l'emploi. C'est une révolution profondément humaniste, dont la portée est sous-estimée. Le projet de revenu universel de Benoît Hamon va d'ailleurs dans le même sens, en attachant à la personne un droit permanent à l'existence.

     

    La complémentaire santé pour tous, la généralisation du tiers payant, difficiles à mettre en place, mais qui représentent quand même un progrès important pour les plus pauvres.

     

    La retraite à 60 ans pour les carrières longues, là encore, mesure juste s'il en est : autant il est normal d'exiger une plus longue durée de cotisation pour une population dont l'espérance de vie s'allonge globalement, autant il est juste que ceux dont le travail a été plus éprouvant puissent bénéficier d'une retraite dès 60 ans.

     

    Le mariage pour tous, loi égalitaire qui reconnaît à chacun une égalité de droits quelle que soit son orientation sexuelle.

     

    La sanctuarisation du budget de la culture, après des décennies de baisse, la culture étant considérée comme une « variable d'ajustement » par les technocrates pour tenter d'équilibrer le budget de l'Etat.

     

    Le renforcement de l'égalité professionnelle hommes-femmes, l'extension de la parité dans les conseils départementaux, le remboursement complet de l'IVG et de la contraception, une meilleure protection des femmes contre le harcèlement sexuel, une politique cohérente de promotion des droits des femmes.

     

    La mise en œuvre concrète de la transition énergétique, là aussi, encore insuffisante, mais bien initiée notamment par un infléchissement de la stratégie d'EDF.

     

    Le non-cumul des mandats et autres mesures pour la transparence de la vie politique, toujours réclamées par touts mais réalisées par personne, enfin mises en place par François Hollande et son gouvernement.

     

    D'autres résultats seraient à évoquer, mais je ne cite ici que ceux qui me viennent en mémoire. Dans tous les domaines, on peut trouver, et je trouve, que François Hollande n'est pas allé assez loin, qu'il aurait dû faire plus et plus tôt. Mais la critique est facile et l'art difficile. L'inertie des bureaucraties et des hauts fonctionnaires, le manque de dynamisme des grandes entreprises, toujours promptes à dénoncer l'ingérence de l'Etat et, dans le même temps, à demander son aide, la conjoncture internationale défavorable à l'économie et à la France en particulier, l'effort de guerre imprévu et nécessaire, la puissance de « l'adversaire non élu », la finance, qu'on ne peut abattre simplement en « cassant la vaisselle », tout cela explique les échecs relatifs, les demi-mesures dont on accuse le président actuel. Les principales critiques sont venues de son propre camp politique ! La question n'est plus maintenant de savoir s'il aurait pu faire plus et mieux, mais de savoir comment, dans les cinq ans qui viennent, faire encore progresser les choses, pour le pays dans son ensemble et surtout pour les plus pauvres, dans la précarité du logement, du travail, de la santé, de l'éducation.

     

    Partager via Gmail Delicious Technorati Yahoo! Google Bookmarks Blogmarks

    votre commentaire
  •  

    Certains le trouvent trop jeune et inexpérimenté. Ils me font penser à ces chefs d'entreprise qui veulent des collaborateurs jeunes et expérimentés … L'important pour un président est surtout de savoir s'entourer et d'avoir du leadership. Il ne peut pas avoir les compétences sur tout.

     

    Partager via Gmail Delicious Technorati Yahoo! Google Bookmarks Blogmarks

    votre commentaire



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires